Cambodge...Enfin le procès!

Publié le par Jacques Beaulieu à 10:41


Jonquière-Québec



 

On apprenait au début d'août qu'un premier responsable du génocide cambodgien commis par Pol Pot et sa gang dans les années 70 avait finalement été inculpé de crimes contre l'humanité par le Tribunal international.

Vous trouverez dans ce billet-ci trois textes : une relation des derniers développements concernant ce Tribunal international, un éditorial du Devoir et, enfin, le témoignage d'un touriste bouleversé par ce qu'il a vu lors de sa visite de Phnom Penh.

Pour compléter la réflexion, voici d'autres textes publiés dans ce blogue.




Au Cambodge, tout près de plusieurs Temples, des musiques interprétées
tout en douceur par des groupes de musiciens cambodgiens handicapés nous accompagnent tout au long de notre visite. Voici d'aileurs un extrait d'un de leur CD.


Un premier responsable du régime Khmer rouge

est inculpé (AFP)


Phnom Penh -- L'ancien directeur d'un centre de torture khmer rouge, Kang Kek Ieu, alias Duch, a été inculpé hier de crimes contre l'humanité et écroué par un tribunal spécial parrainé par l'ONU et chargé de juger des responsables du génocide des années 70.

Après l'avoir entendu, les juges «ont inculpé Kang Kek Ieu, alias Duch, de crimes contre l'humanité et l'ont placé en détention provisoire», a annoncé dans un communiqué le tribunal, auquel Duch avait été remis hier matin.

Duch est le premier ancien responsable khmer rouge à être poursuivi par le tribunal spécial. Sous le régime khmer rouge (1975-79), il dirigeait la prison Tuol Sleng, dans le centre de la capitale cambodgienne, Phnom Penh. Ancien lycée, la prison était devenue un centre de torture où 16 000 hommes, femmes et enfants ont subi les pires atrocités avant d'être exécutés.

Duch était détenu depuis 1999 dans une prison militaire. Il a été remis hier matin au tribunal spécial, qui l'a interrogé avant de l'inculper dans la soirée.

La juridiction internationale doit juger les rares anciens hiérarques khmers rouges encore en vie. Duch est le seul des cinq anciens dirigeants visés à être détenu. Les quatre autres sont libres et n'ont pas été inculpés.

Près de deux millions de personnes ont trouvé la mort sous le régime de Pol Pot, qui a fait régner la terreur au Cambodge, supprimant les écoles, transférant des millions de personnes à la campagne et éliminant tout opposant.

Pol Pot est décédé en 1998. Après des années d'atermoiements, le tribunal spécial, qui réunit des magistrats cambodgiens et étrangers sous le parrainage des Nations unies, a annoncé à la mi-juillet qu'il examinerait les dossiers de cinq suspects en vue d'éventuelles comparutions pour un procès qui devrait avoir lieu l'année prochaine.

La liste n'a pas été rendue publique, mais Nuon Chea, plus ancien haut responsable du régime de Pol Pot, a confirmé qu'il faisait partie des personnes visées. Il a nié les crimes de génocide.

Khieu Samphan, l'ancien chef de l'État du régime khmer rouge, a assuré hier à l'AFP que le placement en détention de Duch ne l'inquiétait pas. «J'irai au tribunal s'ils me le demandent...

Je suis prêt», a-t-il déclaré.

Serait également visé l'ancien chef de la diplomatie khmer rouge, Ieng Sary.

L'avocat de Duch, Kar Savuth, a déclaré que son client avait agi «sous des ordres verbaux venus d'en haut». «Il n'avait pas l'autorité d'arrêter ou de tuer quiconque», a ajouté l'avocat à l'AFP.

Les juges qui examinent les dossiers -- un Cambodgien et un étranger -- décident lesquels parmi les suspects peuvent être jugés.

Le tribunal du génocide cambodgien a finalement été mis en place en juillet 2006, avec la prestation de serment des juges, après huit ans de négociations entre Phnom Penh et les Nations unies
.

La lenteur de la procédure fait craindre que les anciens hiérarques, tous âgés, décèdent avant leur éventuelle comparution.

Le centre de torture Tuol Sleng a été transformé en musée du génocide, où des instruments de torture et des photos d'identité sont exposés pour rappeler les atrocités infligées aux prisonniers
.


Le Devoir du 1 août 2007



C-Phnom Penh (12)
Mausolée pour qu'on se rappelle du génocide et une vue des charniers

 

 
Premiers pas au Cambodge

Guy Taillefer, éditorialiste au Devoir


En 1998, le premier ministre Hun Sen, cherchant à noyer le débat autour des crimes innommables commis sous le règne des Khmers rouges, demandait aux Cambodgiens «de creuser un trou pour y enterrer le passé et de regarder vers l'avenir».

Le passé, ne fût-ce que par mémoire sélective, ne se laisse pas oublier si facilement. Hier, les toutes premières accusations ont été portées contre un ancien responsable khmer par le tribunal spécial de la justice cambodgienne, créé avec le soutien des Nations unies, pour juger le régime de feu Pol Pot, sous lequel sont mortes, entre 1975 et 1979, près de deux millions de personnes au nom de l'idéal communiste et délirant d'une société agraire «pure».

L'homme, accusé de crimes contre l'humanité, s'appelle Kaing Khek Iev, alias Duch. Il fut responsable de la célèbre prison S21 de Phnom Penh, où les prisonniers auraient été torturés et tués par milliers. Le pénitencier abrite aujourd'hui un musée des horreurs et des sévices infligés aux détenus. Âgé de 65 ans, Duch est le plus jeune survivant de l'ancien gouvernement khmer rouge. Placé en détention depuis 1999, il est aussi le seul ancien cadre du régime à avoir été emprisonné par les autorités.

On aura compris que si Hun Sen, au pouvoir depuis 1985, avait pu n'en faire qu'à sa tête, le tribunal n'aurait jamais vu le jour. L'activisme des défenseurs des droits de la personne et la persévérance de l'ONU auront vaincu ses réticences. Neuf ans que l'ONU et le Cambodge tentaient de s'entendre sur la création de ces «chambres extraordinaires». Les derniers obstacles à la mise en marche du tribunal ont été surmontés fin juin. La cour sera bicéphale -- son coprocureur est incidemment Robert Petit, un avocat québécois --, mais c'est pour autant la justice cambodgienne, réputée politiquement influençable, qui conservera le dernier mot dans la conduite des procès.

Ce qui laisse planer des doutes sur la valeur de l'exercice dans lequel s'engage un pays où, vu l'âge des bourreaux et des victimes, le souvenir s'estompe par ailleurs. La mise en accusation de Duch a été accueillie avec satisfaction par des survivants du génocide, qui soupçonnent en revanche que d'autres leaders, plus importants, pourront finalement échapper à la justice avant de mourir. Pol Pot est décédé en 1998; son commandant militaire, Ta Mok, l'année dernière. Restent des hommes comme le «frère numéro deux» Nuon Chea, l'ancien président Khieu Samphan et l'ex-ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, qui, à ce jour, vivent tous les trois librement au Cambodge.

Le droit pénal international est un work in progress qui a fait des pas de géant depuis le milieu des années 90 grâce aux tribunaux créés pour juger les crimes de guerre et de génocide commis au Rwanda, en ex-Yougoslavie et en Sierra Leone. Ce droit en formation progressera, ainsi que le martèle Louise Arbour, à la condition que son application sache demeurer à l'abri de considérations géopolitiques. En dépit de tous les gestes dilatoires faits par le premier ministre Hun Sen, le nouveau tribunal cambodgien ajoute une pierre à l'édifice.
Le Devoir du 1 août 2007



 

C-Phnom Penh (11)
Sans commentaires...


La guerre après la guerre

Émile Roberge (roberge.emile@videotron.ca)


Nous avons visité le musée qui illustre ces horreurs, le Tuol Sleng dit musée du Génocide, ancien lycée converti en prison, dont Duch était responsable. C'était le principal centre de torture des Khmers rouges. De là, les prisonniers qui n'avaient pas succombé à la torture étaient conduits au camp d'extermination de Choeung Ek où ils étaient exécutés (plus de 20 000). Notre guide, qui a vécu les événements, nous a raconté son histoire, celle de sa famille, celle de son peuple... de son peuple martyr. Comment elle avait été séparée de sa famille. Comment elle les a cherchés, attendus. Comment ses espoirs se sont transformés en un deuil jamais terminé. Comment l'on martyrisait les prisonniers...
Dans une première salle -- une ancienne classe -- des centaines de photos d'enfants immolés. En regardant ces images, J'ai imaginé que chaque figure cachait un drame de peurs, de tortures morales et physiques et de mort atroce. J'ai parcouru, dans un silence pesant, les couloirs de cette prison improvisée, regardant à peine les cellules vides, les illustrations de tortures et cet amoncellement de crânes. Pour moi, l'atmosphère des lieux fut plus importante que la vision de ces horreurs. J'étais triste à en mourir. Pourquoi donc tant de méchanceté, de cruauté dans le coeur de certains humains? Tant de sang versé pour relever l'économie d'un
pays... le sang de ses compatriotes, le sang des siens!

Les citoyens de la capitale du Cambodge ne se doutaient pas, le 17 avril 1975, que l'entrée, dans Pnom Penh, de l'armée victorieuse des Khmers rouges, constituait le début d'un génocide sans précédent. Ils étaient là, bordant les rues et acclamant leurs héros. La méprise ne durera pas longtemps. Les Khmers, par la force, vident la capitale et envoient les citadains travailler dans les rizières, sans égard aux cellules familiales. Pol Pot, voulait redresser l'économie du pays en imposant une révolution agraire d'inspiration maoïste et ultra-nationaliste, fondé sur la terreur.

Pour ce faire, il faut éliminer ceux qui seraient susceptibles de protester: les "têtes fortes", les intellectuels, les professionnels, les moines bouddhistes (62 000 tués), les anciens dirigeants, les étrangers; puis tous ceux qui seront jugés improductifs: les faibles, les épuisés, les malades, les vieillards et beaucoup de femmes et d'enfants et même des bébés; et plus tard, ceux qui avaient vu les massacres, les tortures, afin qu'ils ne puissent témoigner.

"Nous brûlerons les vieilles herbes et de nouveaux brins pousseront", disait l'un des slogans révolutionnaires des Khmers rouges. "Les vieilles herbes", c'était eux tous, c'était le tiers de la population du pays. Deux millions de morts. On ne fait pas que tuer: on flagelle, on étrangle, on étouffe, on décapite, on détache, un par un, les membres des bébés, on éventre des femmes enceintes et leur coupe les seins, on utilise des scorpions, on ensable des gens jusqu'au cou et on les laisse mourir de faim sous un soleil brûlant...

Et ce génocide -- génocide et "intellocide" -- a eu lieu hier. Les Cambodgiens que l'on rencontre sur la rue portent tous, dans leurs mémoires et leurs coeurs et parfois leurs corps, des cicatrices profondes. Oh! ils sont souriants plus que tous les autres humains. Mais derrière ces sourires, se cache une mélancolie qui doit bien s'exprimer devant les petits autels des ancêtres de leurs demeures, souvent des victimes de Pol Pot. C'est probablement là qu'ils puisent leur courage.

L'histoire moderne de ce peuple martyr continue. Le premier ministre actuel, Hun Sen, est un Khmer rouge "repenti" et on parle de plus en plus de traduire en justice les anciens tortionnaires. De plus, le Cambodge demeure aujourd'hui le plus vaste champ de mines antipersonnel du monde. C'est la guerre après la guerre, la guerre en temps de paix. Mines posées par les Vietnamiens, les Khmers rouges et des factions de rebelles. Leurs emplacements ne sont pas connus. "Des millions de mines pour dix millions d'habitants". Les mines, dit-on là-bas, sont des "sentinelles éternelles". On estime à 35 000 les amputés du pays. Une ou deux nouvelles victimes chaque jour... cinq cents par année. La moitié sont des enfants.

Grâce à l'aide internationnale -- le pays est trop pauvre -- le déminage est en marche, mais on pense qu'on aura besoin de ving-cinq ans pour accomplir tout le travail. On sait que les États-Unis, la Russie et la Chine ont refusé de signer la convention internationale interdisant l'usage de mines antipersonnel. Ces trois pays ont ensemble une réserve de 186 millions de mines.

Je m'attendais à voir une ou deux victimes des mines. Il y en a partout. Deux groupes de musiciens mutilés nous ont accueillis à l'entrée de temples Preah Kan et Banteay Srei. Leur musique était d'une gaieté triste, touchante. Leur présence devant des sanctuaires d'Ankor, manifestait que l'histoire des victimes des mines antipersonnel s'inscrivait dans l'histoire douloureuse de leur pays. Puis l'image de cet enfant aux bras et à une jambe coupés, monté sur son tricycle et arborant un grand sourire, ne s'efface plus en moi. Et toutes ces mains d'handicapés tendues vers nous, près de la pagode Vat Phnom ! Chacune de ces mains m'a déchiré le coeur. J'avoue avoir eu les yeux humides et l'esprit en révolte.

Malgré les efforts des Nations Unies, la justice ne pourra pas aller très loin dans son projet, les autorités cambodgiennes n'y voulant pas tellement coopérer.

Paru dans Le Devoir électronique


 

Publié dans Infos-Cambodge

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