Justice au Cambodge... un éditorial du Devoir

Publié le par Jacques Beaulieu à 15:30:07


Jonquière-Québec


 

cambodge.jpg Depuis deux semaines, je navigue dans les eaux de la politique et de ses rapports avec le voyage.

Alors, tant qu'à y être, voici un autre de ces pays qui ne peuvent laisser indifférent tout voyageur qui compte s'y rendre : le Cambodge. On se rappellera le génocide qui y a été perpétré dans les années 70 par un gouvernement qui se disait démocratique, celui de Pol Pot.


Vous en avez déjà eu un avant-goût d'ailleurs avec les impressions de deux blogueurs lors de la visite qu'ils ont faite sur les lieux du drame cambodgien.


En juillet dernier, les medias nous apprenaient que les dirigeants actuels avaient finalement décidé de traîner en justice les principaux responsables du génocide, encore vivants.


Enfin ! a-t-on soupiré d'aise.


Mais fort heureusement il existe des commentateurs et des éditorialistes pour remettre les pendules à l'heure et nous rappeler tout le contexte. Ça aide à nous faire une meilleure idée de la situation.


C'est ce que M. Serge Truffaut, éditorialiste au journal Le Devoir, a fait le 10 juillet dernier.

 

 

 


Procès-fiction

Serge Truffaut


Il y a trente ans -- trente ans! --, les Khmers rouges perpétraient leur génocide. Après des négociations sans fin, le procès d'un nombre au demeurant ridicule d'assassins de masse va débuter ce mois-ci. Tout ce qui a entouré la préparation de ce procès a réduit la justice à un simulacre offensant pour les victimes. Dès 1975, Pol Pot et ses complices ont organisé, administré, poursuivi un génocide au terme duquel, en 1979, près de deux millions de personnes, soit 20 % de la population cambodgienne, avaient péri. Après le renversement des dirigeants du Kampuchea soi-disant démocratique, les nouveaux maîtres du pays ont fait en matière de justice, de devoir de mémoire, le service minimum. Strictement minimum.


Ainsi, tout au long des années 80 et même des suivantes, le gouvernement s'est employé à nommer d'anciens khmers rouges au poste d'ambassadeur à l'ONU pour ennuyer tout examen du génocide. Sur ce plan, Phnom Penh a bénéficié de la bienveillance réelle de la Chine qui s'est évertuée à brandir son droit de veto à chaque fois que le sujet était évoqué. Et pour quelle raison ? Pékin ne voulait pas que l'on mette en relief les liens étroits qui existaient entre Pol Pot et les dictateurs chinois.

Après des tractations sans fin avec les représentants de l'ONU, le Cambodge a fini par se ranger à l'idée d'un procès. Quand ? En 1999... On insiste les dirigeants cambodgiens plus collaborateurs que juges des méfaits de Pol Pot et des siens ont envisagé le procès 20 ans après les faits. On insiste encore mais sur un autre aspect : ce qu'ils ont accepté en 1999 était l'idée du procès et non le procès comme tel.

De fait, s'en est suivie une ronde de négociations que le premier ministre Hun Sen s'est appliqué à torpiller afin que les choses traînent en longueur. Il voulait épuiser ceux qui lui faisaient face ? Il y est parvenu. Et ce, pour le plus grand bénéfice des génocidaires qu'il protégeait et protège encore. Peu avant d'adhérer à l'idée du procès, Hun Sen, lui même ancien cadre Khmer rouge, avait gracié un certain nombre de tueurs de masse.


Ce geste, le premier ministre l'a posé pour les soustraire à la justice. On s'explique. Après avoir dit oui au procès, Hun Sen a consacré toutes ses énergies au principe suivant : il serait instruit par des Cambodgiens. On le devine, l'ONU voulait instituer une cour pénale sur le modèle de ceux du Rwanda et de l'ex-Yougoslavie. Hun Sen s'y est toujours refusé. Le pire est qu'il a remporté également cette manche.

En effet, après avoir discuté pendant quatre autres années avec les représentants de l'ONU les parties concernées ont convenu que la majorité des juges appelés à siéger seraient Cambodgiens. Ils seront 17 contre 13 magistrats internationaux. Ce n'est pas tout. Dans chacune des trois chambres appelées à trancher, les Cambodgiens détiendront la majorité.


L'accord, à l'évidence bancal pour ne pas dire immoral, entre l'ONU et les héritiers de Pol Pot a été signé il y a trois ans de cela. Trois ans ! Cette semaine, le procès va débuter. Combien de temps va-t-il durer ? Trois autres années. Il faudra attendre un autre trois ans pour connaître les sentences prises à l'endroit de bourreaux qui ont massacré leurs concitoyens il y a plus de trente ans de cela.

Pour ce qui est de l'aspect plus légal du dossier, Hun Sen a bien évidemment obtenu ce qu'il voulait : une formule bâtarde. Qu'on y songe, les balises arrêtées en la matière empruntent davantage au code cambodgien qu'au droit international. Lorsqu'on ajoute à cela le fait que les juges cambodgiens n'ont aucune expérience pour instruire une affaire dont la raison s'appelle génocide, les tortionnaires sont assurés d'une chose : ils vont couler des jours tranquilles pendant encore longtemps.

L'origine de tout cela ne serait pas aussi grave, aussi dramatique qu'on le sait qu'on pourrait qualifier tout le processus juridique de farce. Car la meilleure est peut-être la suivante : à quelques jours du coup d'envoi, on ne sait pas encore qui sera... jugé ! On suppose évidemment que deux des responsables, parce qu'actuellement en prison, défileront au tribunal.

Les autres ? La plupart des génocidaires vivent riches et sans remords dans les environs de la capitale. Tout, absolument tout ce qui compose cette histoire ne peut que susciter un dégoût abyssal.


 

Publié dans Infos-Cambodge

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article